Celui-là est un peu plus loin, mais toujours pas retravailler ^-^

Conte de création : celle du monde

L’histoire se passe il y a longtemps. Tellement longtemps qu’on peut pas dire vraiment quand. On peut pas non plus dire un pays lointain parce qu’il n’y avait pas encore de pays. C’est vous dire à quel point ça fait longtemps que c’est arrivé. Je disais pas de pays, mais plus encore, il n’y avait rien. Rien ? Enfin, presque. Une petite lueur de rien du tout. Celle d’une chandelle, faible, blafarde. Qui vacille, sur le point de s’éteindre. Mais autour, il n’y a que le noir, rien du tout que je dis. La chandelle ? Elle éclaire pour quoi ? Pour un vieux peintre, vieux comme le pas de monde dans lequel il se trouve. Oui oui, un peintre. C’est lui qui a allumé. Il se fatiguait les yeux. Sur quoi ? Sur ses couleurs. Il travaillait à créer les couleurs. Le noir, pas besoin de beaucoup de travail, parce qu’il en était entouré. Mais les autres! Du noir est né le blanc, puis le jaune de la lumière. C’est comme ça qu’il a pu peindre la chandelle, avec le blanc et le jaune. Il travaillait sur un grand projet, le vieux peintre.

S’il y avait quelque chose en plus du peintre et de la chandelle ? Une toile, une GRAAAAAAAANDE toile. Des pinceaux. Des GROS et des petits. Pourquoi j’ai dit alors qu’il n’y avait rien? Parce qu’avant qu’on le dise, c’était la vérité. Il se tenait devant sa toile blanche, qu’il avait faite lui-même. Mais sans couleur, impossible de faire une grande œuvre, qu’il se dit. Voilà la raison de la lumière ! Parce que toutes les couleurs se retrouvent dedans. Alors, de la lumière, a coulé toutes les couleurs du prisme, de l’arc-en-ciel et du pas-de-monde. Toutes les teintes réunies sur une palette de peintre, celle avec le trou pour mettre le pouce. C’est là qu’il a commencé pour de vrai. Il a choisi le bleu. Un beau bleu, clair, qu’il a laissé coulé sur toute la toile. Le vieux peintre a regardé, le vieux peintre a reculé, il a regardé encore. «Il manque quelque chose.» Personne pour l’entendre, personne pour lui répondre. Il a soufflé sur la flamme pour méditer là-dessus. S’il y avait eu un temps, j’aurais pu dire qu’il avait dormi sur cette idée. Quand il a rallumé, il savait ce qui manquait. Il a pris le jaune, le blanc, il a fait une flamme ronde, ronde et chaude. Juste au milieu de la toile. Il a aimé ça. « Tout est là. » Le vieux peintre, en voulant mettre une dernière touche, faillit brûler son pinceau. Sous ses yeux, la peinture s’élargit, s’élargit encore, au point où il n’en voyait plus les contours. Loin, haut, sa flamme brillait et réchauffait. Le vieux peintre venait de créer le jour.

Mais le jour, tout le temps, ça aussi ça fatigue les yeux. Alors le peintre, il a eu une autre idée. Une idée grandiose : un triptyque. Tu sais, trois toiles qui font parties de la même œuvre. Pour la deuxième, il a peint une autre toile en noir. Tout en noir, en noir foncé. Mais il aimait pas ça, ça faisait pas de continuité. Alors, au lieu d’une flamme, il a peint un rond blanc, gros mais un peu froid. . Le vieux peintre a regardé, le vieux peintre a reculé, il a regardé encore. «Il manque quelque chose.» Personne pour l’entendre, personne pour lui répondre. Sauf que, en voulant reculer un peu plus, son pied a glissé sur la chandelle inutilisée, son pinceau a volé dans les airs et il a plu sur la toile. Il a plu des milliers de petites gouttes blanches, blanches comme le rond, tout autour, partout sur la toile. Il s’est relevé le vieux peintre. Il a aimé ça. « Tout est là ». Et la toile s’est s’élargit, s’élargit encore, au point où il n’en voyait plus les contours. Mais, au lieu de se fixer à côté de la première, c’est derrière qu’elle a choisi de se mettre. À cause du mouvement, elles tournoient, lentement, depuis ce temps. Parce qu’il existe le temps maintenant. Avec sa deuxième oeuvre, le peintre n’a pas juste créé la nuit, mais l’alternance entre le jour et la nuit. Si ça c’est pas un grand peintre ça !

Le vieux peintre a vu une rotation complète. Puis deux, puis dix. Il a arrêté de les compter. Il voulait faire une dernière toile, juste une, avant de ranger ses pinceaux. Une troisième qui porterait toutes les couleurs inventées qui n’avaient pas encore servi. Le vieux peintre, qui avait beaucoup réfléchi pendant que défilaient jour et nuit, fabriqua une toile ronde, pour rappeler son soleil et sa lune. Il y étala son reste de bleu, puis du vert, puis un vieux jaune qui trainait, puis du brun et du gris. Un peu plus par ci, un peu plus par là. De pointes en bas-relief, de creux en vague, il créa un monde. Le tout premier. Avec tout ce qui vient avec : de la terre, des mers, des déserts, des forêts, des montagnes. Le vieux peintre a regardé, le vieux peintre a reculé, il a regardé encore. «Il manque quelque chose.» Personne pour l’entendre, personne pour lui répondre. C’est ce qu’il manquait ! Alors, le vieux peintre, il a choisi son plus petit pinceau, celui à deux poils, celui qui coûte toujours le plus cher. Pour se pratiquer, il a fait des nouvelles créatures, les plus simples. Tout petit pour commencer. Puis des un peu plus grosses, certaines avec des écailles, d’autres avec du poil, certaines avec des plumes. Il en a mis partout le vieux peintre.  De toutes les sortes. Partout sur sa toile : dans l’eau, sur la terre, dans les airs, dans les montagnes, les forêts, les déserts.

Quand il en eut fait des milliers, après un bon nombre de rotations du jour et de la nuit. Il s’est senti prêt. Il a repris son pinceau à deux poils, le plus petit, le plus cher, et il a peint un homme. Un homme jeune, plein de santé, pas vieux comme lui. Puis, il a peint une femme. Pour aller avec l’homme. Il en a mis partout le vieux peintre : dans les forêts, les îles, les déserts. Tous différents, selon l’endroit et selon les couleurs qui lui restaient aussi. Il a aimé ça. « Tout est là, sauf moi ». Et la toile s’est s’élargit, s’élargit encore, au point où il n’en voyait plus les contours. Il ne les voyait plus les contours, parce qu’il était dans sa toile, avec le premier homme, avec la première femme. Le vieux peintre venait de créer le monde. Et il aimait ça.